Bienvenue Ă bord du Titanic et du Lusitania. Les naufrages retentissants de ces deux paquebots rĂ©sonnent encore, jusque dans la comprĂ©hension du cerveau ⊠et de lâexpĂ©rience client.
Pour assurer la survie de notre espĂšce, notre systĂšme « limbique » fonctionne en mode temporel ultra rapide. Face Ă lâurgence dĂ©clenchĂ©e par un danger inopinĂ© ou une proie potentielle, il va Ă la milliseconde prendre lâascendant sur le cortex.
Comme lâĂ©nonce Alain Berthoz, directeur du labo de physiologie de la perception et de l'action au CollĂšge de France: « Notre cerveau a d'abord Ă©tĂ© programmĂ© pour ĂȘtre rapide, pas pour ĂȘtre exact ».
Objectif : Ă©viter de gaspiller temps et Ă©nergie Ă penser pour, soit privilĂ©gier la fuite; soit courser un gibier ou une superbe paire de chaussures en vitrine qui titilleâŠnotre non-conscient. L'Ă©volution de notre cerveau recĂšle dâailleurs lâexplication de bien des Ă©vĂ©nements.
Prenons deux célÚbres naufrages de paquebots.
Le Titanic, le 14 avril 1912. 1.517 morts aprĂšs la collision dâun iceberg. Le Lusitania, le 7 mai 1915, 1.198 morts aprĂšs torpillage par un sous-marin allemand.
Un fait surprenant a longtemps questionnĂ© les scientifiques: dans le cas du Titanic, le nombre de femmes et dâenfants survivants a Ă©tĂ© bien plus Ă©levĂ© que dans celui du Lusitania. Alors que ces deux grandes drames maritimes partagent bien des similitudes : 30% de survivants, une mĂȘme proportion de passagers (60%)/ membres dâĂ©quipage (40%), des passagers aux profils socio-dĂ©mographiques et normes sociales similaires . Seule vraie diffĂ©rence : le temps quâont mis les paquebots Ă sombrer. 2h40 pour le Titanic ; 18 minutes pour le Lusitania.
Décours et des peurs
Des Ă©tudes scientifiques de 2010 ont rĂ©vĂ©lĂ© quâune sorte de «dĂ©cours temporel » diffĂ©rencie nos trois cerveaux.
Imaginez-vous parmi les passagers du Lusitania qui vogue lentement. AprĂšs un agrĂ©able dĂ©jeuner vous prenez lâair sur le pont. Subitement une Ă©norme explosion secoue le navire. Une torpille allemande vient dâĂ©ventrer sa coque. Pris de panique, votre stress monte en flĂšche. Votre systĂšme « Ă©motionnel » prend Ă 100% le contrĂŽle de votre comportement.
En quelques millisecondes, vos amygdales cĂ©rĂ©brales classent la situation « danger trĂšs Ă©levĂ© » et enclenchent le systĂšme dâurgence. Le tout sans aucun contrĂŽle « conscient » de votre part.
En moins dâune seconde, votre hypothalamus active des neuromodulateurs pour prĂ©parer vos organes et muscles Ă rĂ©agir. Le cortisol Ă son tour libĂšre massivement de lâadrĂ©naline dans votre flux sanguin pour aiguiser vos sens et vous rebooster physiquement pour affronter votre crise de panique.
Face Ă cette situation exceptionnelle, votre cerveau « Ă©motionnel » a anticipĂ© lâurgence et le danger.
Résultat ? Cette situation va faire adopter aux hommes sur le Lusitania un réflexe de fuite. A 100% en mode survie, leur cerveau est incapable de proposer un autre comportement.
Avec les deux heures de plus dont ont bĂ©nĂ©ficiĂ© les passagers du Titanic, leur rĂ©action bio-physiologique sera diffĂ©rente. Leur systĂšme parasympathique a eu le temps de modĂ©rer lâeffet du tsunami Ă©motionnel Ă affronter. La crise de panique passĂ©e, la prĂ©sence dâautres passagers a activĂ© un «biais social et culturel » poussant les hommes Ă se conformer Ă la norme sociale : « les femmes et les enfants dâabord ».
Paradoxalement, ces tragĂ©dies maritimes mettent en lumiĂšre trois concepts clĂ©s de «lâexpĂ©rience client » :
- la valeur de plaisir ou de déplaisir ;
- le niveau de familiarité face à une situation ;
- et le caractĂšre long ou bref du dĂ©cours temporel de lâĂ©vĂ©nement.
Elles valident aussi un paramĂštre essentiel: lâĂ©picentre des comportements humains se trouve toujours dans le systĂšme « Ă©motionnel », pas dans le systĂšme « rationnel » !