Le New Coke, un fiasco qui fit trembler Coca. Ce cas d’école est emblématique des failles du dogme bâti autour du « consommateur rationnel ». Décapsulons!
Dans la série de fiction « Vos clients, maîtres de leurs comportements », voici un épisode qui montre à quel point les rationalistes de l’UX peuvent se planter. 1985, année pétillante. Coca-Cola est alors le soda le plus populaire au monde. Pour écraser Pepsi, l’entreprise d’Atlanta veut innover. Pour la première fois, elle va modifier la formule légendaire de son mythique breuvage pour en faire une version plus sucrée, le « New Coke ».
Afin de s’assurer que ses adeptes craqueront pour cette nouvelle version, Coca la teste Ă l’aveugle sur 200.000 personnes.Â
Verdict: la majoritĂ© trouve « le goĂ»t du New Coke bien meilleur que celui de l’original » et que celui de Pepsi.Â
Galvanisé par ces résultats, le géant limonadier va faire mousser son nouveau « Coca-Cola meilleur que jamais », à travers une giga-campagne com’ et marketing…
Mais, une fois celui-ci ingurgité par le grand public … c’est le tollé général et la demande au retour immédiat du « vrai » Coca-Cola. Les ventes s’écroulent, la perte quotidienne se chiffre en millions de dollars. 79 jours après son lancement, le «New Coke» est retiré du marché et le Coca original réintègre les rayons.
Comment ce phĂ©nomĂ©nal plantage d'une innovation a-t-il pu arriver ?Â
La société mènera des études pour lui trouver des explications… rationnelles ! Celles-ci ne feront que cultiver un déni de l’échec et l’absence de remise en question, en se rassurant par « l’attachement profond des consommateurs à la marque elle-même ». Etrange, non! Après qu’un panel de 200.000 «consommateurs» ait majoritairement émis un avis « rationnel » en faveur du « New Coke », dès les premiers décapsulages dans la vraie vie, la population invalide ce choix !
Pas… raisonnable tout cela. Et si le goût n’était pas la cause principale de la volte-face des buveurs du soda ? Et si derrière ses bulles, d’autres « raisons », motivations ne demandaient qu’à éclater ? Et si, à travers les tests, les consommateurs lambda n’arrivaient à ne verbaliser qu’une infime partie des réelles activités de leurs cerveaux ?
Intrigué par le déto(n)nant épisode « Coca-Cola », le neurologue Read Montague, prof au Baylor College de Houston décida en 2004 de le scanner en profondeur à l’aide d’imageries médicales perçant avec une résolution millimétrique les activités des aires cérébrales du cerveau. Montague soumet un large panel de personnes à un test à l’aveugle entre « Coca-Cola » et « Pepsi », sans renseigner la marque.
Le siège du plaisir immédiat (putamen ventral) engagé dans le circuit de la récompense réagit fortement aux deux boissons mais davantage lorsque les testeurs boivent du « Pepsi ». A l’aveugle, Pepsi l’emporte !
Lors d’une seconde phase, les participants testent les deux sodas mais cette fois, la marque dégustée est affichée sur écran. Résultat incroyable: lorsque les cobayes sont conscients de la marque bue, leur préférence change et contredit le test à l'aveugle. Ce n’est plus le goût mais l’influence culturelle du produit qui donne la victoire à Coca. Ce fait remet en question la croyance tenace que ce que les consommateurs verbalisent est le fruit d’une réflexion « rationnelle ».
En effet : comment justifier par la raison que, une fois la marque du breuvage renseignée, les activités cérébrales des testeurs se modifient au point que leurs choix s’inversent ? Interro lors de notre prochain post.
L'histoire du New Coke reste l'une des anecdotes les plus fascinantes et instructives du monde du marketing et du design UX. Elle souligne de manière frappante les limites d'une approche purement rationaliste dans la compréhension des comportements des clients et utilisateurs.
La préférence des utilisateurs pour Coca-Cola, malgré une inclinaison objective pour le goût de Pepsi dans les tests à l'aveugle, démontre la puissance des facteurs non rationnels, comme l'attachement émotionnel à une marque et l'influence culturelle.
Cette saga rappelle aux professionnels de l'UX et aux marketeurs que le comportement humain est complexe, multifacette et souvent guidé par des éléments non-conscients.
Dans un monde où l'expérience utilisateur est primordiale, reconnaître et intégrer ces dimensions non rationnelles dans la création et l'optimisation des produits peut s'avérer déterminant pour leur succès.