Creuser plus profond que le Jobs To Be Done
La méthode du Jobs To Be Done (JTBD), souvent associée à Clayton Christensen, est citée comme une clé pour mieux comprendre les attentes des clients.
Son principe est simple : il ne s’agit pas de vendre un produit, mais de saisir la « tâche » pour laquelle un client choisit une solution.
Les racines du Jobs To Be Done remontent à des réflexions antérieures, comme celles de Theodore Levitt — professeur à la Harvard Business School — qui expliquait déjà dans les années 60 que « les gens ne veulent pas une perceuse de 6 mm, ils veulent un trou de 6 mm ».
Cette idée a ensuite été approfondie par Tony Ulwick et sa méthode Outcome-Driven Innovation dans les années 90.
Finalement Christensen donna au JTBD une visibilité mondiale à travers ses écrits.
Il est fascinant de constater que cette idée, qui date des années 60, n'a été adoptée dans le monde de l'UX que récemment.
Pourquoi le monde de l'UX n'a découvert le Jobs To Be Done que récemment ?
Pendant longtemps, les designers et spécialistes de l'UX se sont concentrés sur la fonctionnalité et l’esthétique des interfaces, répondant à la demande de simplicité et de fluidité.
Ce n’est qu’avec l’explosion de la complexité des parcours clients et la fragmentation des points de contact numériques que les praticiens ont été confronté à la nécessité de comprendre les motivations plus profondes des utilisateurs.
Dans ce contexte, le JTBD est apparu comme une grille de lecture plus stratégique, qui permettrait de reconnecter les entreprises avec le « pourquoi » derrière les actions des utilisateurs.
Mais il a aussi révélé ses limites : une compréhension essentiellement déclarative qui ne plonge pas dans la réalité émotionnelle et cognitive des décisions humaines.
Le Jobs To Be Done, une vision (trop) simplifiée du besoin client
Le Jobs To Be Done a été une bouffée d’air frais pour de nombreuses entreprises, car il propose de sortir du focus produit pour se centrer sur l’objectif réel du client.
Par exemple, Clayton Christensen a aidé un constructeur de maisons à comprendre que le « Job To Be Done » de ses clients n'était pas simplement d'acheter une maison neuve, mais de déménager, de potentiellement « changer de vie », un processus souvent source de stress. Sur la base de cette compréhension, le constructeur a ajouté des services de déménagement et de garde-meubles, ce qui a immédiatement boosté ses ventes.
Cette approche illustre bien la force du Jobs To Be Done : il identifie des aspects émotionnels et contextuels que l’on pourrait ignorer si l’on se concentrait uniquement sur le produit. Pourtant, cette compréhension reste superficielle.
Elle s’appuie sur des questions et des réponses conscientes, et n'explore pas les motivations plus profondes, celles qui restent en dehors du discours explicite des clients. En posant quelques questions ciblées, le Jobs To Be Done capture des éléments de la réalité du client, mais il ne pénètre pas la complexité de ses comportements.
De la déclaration au comportement réel : un fossé considérable
La méthodologie Jobs To Be Done repose sur l’idée que les consommateurs savent pourquoi ils agissent comme ils le font et sont capables de verbaliser ces raisons.
Parmi les questions courantes pour trouver les Jobs To Be Done, on trouve souvent :
- « Quand avez-vous réalisé que vous aviez besoin de [produit/service] ? »
- « Quelle situation ou problème vous a poussé à chercher une solution ? »
- « Quels autres produits ou services avez-vous envisagés ? »
- « Qu'est-ce qui vous a frustré dans votre manière de faire avant ? »
- « Qu'est-ce qui vous a finalement convaincu de choisir [produit/service] ? »
- « Comment utilisez-vous [produit/service] au quotidien ? »
Ces questions permettent de dessiner une trajectoire de décision, mais elles présument que le client a une conscience claire de ses propres motivations.
En réalité, les études en neurosciences et en psychologie montrent que 95 % de nos décisions sont influencées par des mécanismes non conscients.
Lorsque l’on demande à un client de justifier son choix, il fournit souvent des explications a posteriori, qui sont plus des rationalisations que des descriptions exactes de ses motivations.
Ce décalage entre les déclarations des clients et leurs comportements réels montre bien la limite du Jobs To Be Done. Il capte la surface, mais ne plonge pas dans les réflexes et les habitudes profondes qui influencent les décisions.
C’est la grande différence entre le JTBD et une approche centrée sur la performance par les comportements : là où le JTBD se contente de quelques questions pour dévoiler les intentions apparentes du client, une analyse comportementale cherche à identifier ce qui ne se dit pas.
Le profilage comportemental : une plongée au cœur des motivations profondes
Pour aller au-delà des déclarations de surface, il est nécessaire de se doter d’outils et de méthodes capables de décoder les comportements réels des consommateurs.
Cela signifie observer, mesurer et analyser les réactions émotionnelles, les habitudes et les réflexes ancrés, … Contrairement aux entretiens JTBD, qui se limitent à la parole, le profilage comportemental s’intéresse à ce qui échappe au client lui-même.
Pourquoi la performance passe par les comportements, pas par les intentions ?
L’enjeu pour les entreprises, c’est de saisir la véritable dynamique qui se joue entre le client et la marque. Un client ne choisit pas un produit uniquement parce qu’il a identifié un besoin rationnel. Il le fait parce qu’il ressent une affinité, une sécurité, ou même parce que le geste lui paraît naturel, presque automatique. Cette dynamique est au cœur de la performance.
La performance par les comportements consiste à concevoir des parcours et des offres qui répondent aux instincts et aux attentes émotionnelles de manière fluide. En favorisant une expérience intuitive, en anticipant les moments de doute et en minimisant les frictions, on ancre un produit ou un service dans la vie des consommateurs.
Les étapes pour une stratégie expérience client basée sur les comportements
Phase 1 — Identification et compréhension des comportements actuels (comprendre les comportements existants des clients, des utilisateurs ou des collaborateurs) : adoptez une posture de chercheur, qui analyse les comportements réels au lieu de se contenter des déclarations.
Phase 2 — Identification des leviers et freins aux comportements cibles (identifier ce qui motive ou freine les comportements souhaités). Une fois les comportements actuels identifiés, il est temps de définir les comportements cibles : ceux que vous souhaitez voir se produire plus fréquemment, ou plus efficacement. Pour cela, nous analysons des modèles comportementaux pour analyser les leviers qui motivent ces comportements et les freins qui les empêchent.
Phase 3 — Conception des supports pour générer les comportements cibles (site, app, produit, service, dialogue de vente, …) : simplifiez le parcours client, non pas selon ce qu’il dit vouloir, mais selon ce qu’il montre en termes de comportements.
Et n'hésitez pas à mesurer ce qui est non dit : investissez dans des technologies permettant de capter les signaux émotionnels et physiologiques des clients pour mieux comprendre les moments d’adhésion et de rejet.
Le Jobs To Be Done, une bonne intention, mais une compréhension incomplète
Le Jobs To Be Done a eu le mérite de remettre l’humain au centre de la stratégie d’entreprise.
Mais en s’appuyant trop sur des déclarations conscientes, il reste à la surface des choses.
Pour créer des expériences véritablement différenciantes et saisir la complexité des décisions humaines, il est essentiel de plonger au-delà des mots, dans l’univers des comportements.
Les entreprises qui parviendront à décoder cette réalité cachée et à ajuster leurs stratégies en fonction de ces insights comportementaux seront celles qui réussiront à se démarquer durablement. Ce n’est pas le « job » que le client dit vouloir accomplir qui importe, mais les chemins neuronaux qui le guident vers ce choix.