Changer le paradigme de l'expérience client
« Chef, on a chopé un suspect et il marine dans la salle d’interrogatoire. Le plus étrange, c’est qu’il a l’air d’aimer ça, le bougre ! Il raffole d’être inondé de lumière et de se voir dans la vitre sans tain sans se préoccuper de qui se trouve derrière. Quant aux motifs d’accusation … : abus d’indifférence, faux et usage de fausse expérience client, couacs commerciaux, atteinte UX à la pudeur, multi-récidive. Son identité : l’entreprise Homo-Œconomicus … C’est sûr, chef, le prévenu est un dur à cuire et refusera de passer aux aveux, aveuglé par des décennies de mauvaises habitudes. »
Cet ironique parallèle judiciaire nous offre sur un plateau la métaphore idéale du changement de paradigme à opérer à l’aide de ce réflexe n°1 : « Briser la vitre sans tain ». La salle d’interrogatoire, lieu récurent des séries policières, est l’allégorie parfaite du rapport déséquilibré entre l’entreprise et ses clients.
La première se pavane dans la pièce baignée de lumière, les seconds végètent dans la pièce plongée dans la pénombre. Les deux univers sont séparés par une vitre sans tain. La particularité de cette dernière est la modification de son opacité selon la luminosité ambiante. Si on éclaire de manière identique les deux parties de l’espace en même temps, les occupants des deux zones peuvent se voir.
Or, la majorité des entreprises, en se concentrant sur l’avoir ne voient qu’elles-mêmes, souvent aveuglées par le nombre important de tâches à réaliser au sein de l’entreprise. Et même si elle ne le souhaite pas toujours, occupées à s’éclairer si intensément que la polarité lumineuse de la vitre sans tain transforme celle-ci en miroir qui ne renvoie finalement à l’entreprise que son propre reflet. Ce phénomène maintient d’autant plus fort la « tribu clients » dans l’obscurité. Effet désastreux garanti. Une culture de l’avoir focalise les attentions sur l’expertise, poussant une entreprise à regarder son propre nombril, son propre reflet. Plus on est ébloui par sa propre image, moins on s’intéresse (vraiment) à qui est en face, dans l’autre pièce.
Dis-moi miroir qui est le plus beau
Ce syndrome « Miroir, dis-moi qui est le plus beau ? » — façon la reine maléfique dans « Blanche-Neige », a contaminé depuis longtemps la sphère des entreprises qui réfléchissent (se réfléchissent) en vase-clos à coup de « Design Thinking », de « Brainstorming », de sondages approximatifs aux conclusions creuses tirées d’une poignée de verbatims.
Mais point de client en chair, os, choix, vécu, comportements ou attitudes pour comprendre sa réalité. Comme dans « Blanche-Neige », il est plus que temps que le miroir réponde à la reine-entreprise que, non, ce n’est pas elle la plus belle, mais bien sa clientèle.
L’expérience client se verrait en revanche à tout le moins améliorée en tamisant la pièce où trône l’entreprise, et en éclairant davantage celle où se trouvent les clients.
Ce premier réflexe consiste donc à casser et traverser cette cloison à l’opacité variable, passer au-delà du miroir trompeur, comme dans « Alice au Pays des merveilles ».
Certes, changer ce paradigme (faussement pavé de bonnes intentions) est complexe mais indispensable pour les entreprises qui ont juste perdu le lien avec le client. L’expérience client, depuis que le commerce existe, c’est avant tout de l’empathie, de l’intérêt authentique, du contact quotidien et de l’humain au carré.
L’expérience client a les boules
Le premier réflexe consiste à comprendre et utiliser l’ensemble des 4 « boules » composant un cadre de référence simple conçu par mon entreprise il y a une décennie.
Ce schéma offre une visualisation des quatre sphères impliquées dans l’expérience. Les deux à gauche relèvent de l’entreprise. Les deux à droite de ses clients.
Pour optimiser l’expérience de ces derniers, l’expérience anticipée et l’expérience effective doivent être activées en priorité par l’entreprise. Pourtant, sans aucune mauvaise intention, victime de leurs routines et habitudes, les entreprises se concentrent la plupart du temps sur les boules de gauche, maintenant les clients dans la pénombre, dans leur pièce derrière la vitre sans tain.
Les quatre « boules » du schéma se répartissent les facettes du management de l’expérience client au sens large. Cette grille de lecture est particulièrement efficace (notamment développée en sous-ensembles d’analyse) pour révéler tant les forces que les faiblesses d’une organisation sur le terrain de l’expérience client.
L’ « expérience client anticipée »
Comme déjà évoqué, l’expérience anticipée est à l’origine de tout comportement. Elle se réfère à du vécu passé et à son contexte. Ces antécédents évolutifs influencent tous les actes de vos clients. Bien cerner l’expérience anticipée permet de mieux comprendre la motivation du client, ce qui va le pousser à réaliser une action. La motivation du client sera impactée de manière significative par le niveau de récompense attendue. Plus celui-ci sera élevé, plus la récompense revêtira d’importance, plus la motivation à agir sera grande. À l’opposé, si la motivation est inexistante, aucun comportement n’en découlera.
L’expérience anticipée sera aussi guidée par les divers souvenirs/informations (intégraux ou fragmentaires) que le cerveau du client va compiler. Les fortes réminiscences de cas vécus, identiques ou ressemblants, influenceront son opinion et donc ses attentes. Les souvenirs de précédentes expériences ou situations similaires réactiveront automatiquement, non seulement des images enregistrées dans son cerveau, mais aussi les émotions qui y sont liées.
L’ « expérience client effective »
Si l’expérience anticipée se réfère à des événements passés pour anticiper ce qui pourrait arriver, l’expérience effective, elle, recouvre l’ensemble des comportements observables et les perceptions que le cerveau construit face aux stimuli mis en œuvre par les entreprises (site internet, application mobile, centre d’appel, guichets d’accueil, programme de transformation de l’organisation, marketing, … ).
L’expérience effective est donc composée à la fois de la mobilisation du cerveau pour effectuer des actions visant à atteindre l’expérience anticipée et l’ensemble des émotions et perceptions ressenties lors de la réalisation de ces actions. En quelque sorte, l’expérience effective est l’adjointe au service de l’expérience anticipée. Elle en est les yeux, les oreilles, les bras et les jambes.
Lien entre « expérience client anticipée » et « expérience client effective »
Chaque comportement anticipé sera associé à un potentiel de récompense que le cerveau évaluera sur une échelle graduée pouvant aller de très négatif (« cela va mal se passer »), à très positif (« chouette, cela va être génial »).
Plus le niveau de l’expérience anticipée sera élevé, plus le client sera exigeant sur l’expérience effective qu’il vivra. Au moindre souci, la déception sera au rendez-vous. Inversement, plus le niveau de l’expérience anticipée est faible, plus il sera facile de surprendre le client. Il est essentiel de comprendre que dans la très grande majorité des cas, toutes les étapes qui construisent l’expérience anticipée sont non-conscientes. En effet, le système émotionnel gère tout, en mode automatique.
Mesures biométriques à l’appui, un test a révélé que la création d’un compte client chez un assureur s’est soldée par une expérience plus positive que celle de la visite d’un site d’une marque de luxe. Mais pourquoi, nom d’une paire de Prada ? Dans le cas de la création du compte assurance, le niveau d’expérience anticipée étant très faible, faire mieux n’est pas très compliqué. L’expérience effective étant supérieure à l’expérience anticipée, la résultante est positive. Concernant la marque de luxe, l’expérience anticipée étant très élevée, le moindre grain de sable est perçu comme négatif et peut amener à estimer l’expérience effective bien en deçà du résultat escompté de l’expérience anticipée.
Pour générer une expérience client positive, l’entreprise doit donc comprendre l’expérience anticipée et déployer des moyens permettant de générer une récompense effective égale ou supérieure à la récompense espérée.
La « vision de l’expérience client »
La vision de l’expérience est ce que l'entreprise juge nécessaire pour faire vivre une expérience positive à ses clients. La présente notion n’est pas à confondre la vision d’entreprise. Ici, on parle précisément de l’expérience vécue par un client et qui se déroule à 100% dans son cerveau. Pour qu’elle soit positive, il est essentiel d’appliquer le réflexe n°1 et de briser la vitre sans tain afin de concevoir les services et produits à partir de l’Humain et plus uniquement sur le terrain classique du business.
Dans ce modèle adapté, la vitre sans tain ayant volé en éclats, l’équipe dirigeante adopte une approche holistique du client, qui fait partie de la tribu. La direction est pleinement informée et consciente de ce qui se passe dans la séquence expérience anticipée et expérience effective des clients de la tribu.
Ce réflexe autorise et encourage les équipes de l’entreprise à être au plus proche de leurs clients, de (vraiment) les voir, (vraiment) les entendre, (vraiment) les comprendre , (vraiment) décrypter leurs expériences anticipées.
Cette proximité, organisée et encouragée, permet de trouver la zone de convergence dans laquelle le client est heureux et l’entreprise réalise ses objectifs.
Si faire faire au client ce que l’entreprise souhaite qu’il fasse était envisageable dans un monde de carences, cela n’est plus possible dans le monde d’opulence dans lequel nous vivons.
La vision de l’expérience permet d’éviter d’imaginer des zones de convergences qui n’existent pas et faire converger les intérêts de l’entreprise avec ceux du client. Et le seul endroit où cette convergence est observable avec certitude est dans le cerveau des clients.
Depuis deux décennies mon métier consiste à concilier ces deux choses qui en apparence semblent antagonistes. Si le cerveau des clients indiquent que le produit ou la solution imaginée par l’entreprise génèrent des émotions positives, c’est que le produit / service se trouve de facto dans la zone de convergence.
Le « déploiement de l’expérience client »
Le réflexe n°1, en brisant la vitre sans tain, organise le travail et encourage les équipes opérationnelles à ne concevoir qu’après avoir une idée très précise des 3 autres facettes de l’expérience client. Chaque individu acteur du déploiement devra se nourrir de l’expérience anticipée et de l’expérience effective actuelle des clients avant de faire évoluer celle-ci. Ce réflexe transforme progressivement l’avoir en être, avoir des techniques et connaissances client devient être en empathie avec le client, membre de la tribu.
Boules à paillettes
Revenons à nos boules … Ces 4 planètes de la galaxie CX sont diversement visitées, souvent par méconnaissance de la majorité des sociétés convaincues qu'en se concentrant uniquement sur les deux boules de gauche elles répondent aux 4 questions.
En privilégiant les « boules » entrepreneuriales, les sociétés ont installé et entretenu un miroir sans tain, se coupant de leurs clients qui, de leur côté, ont accès à de plus en plus d’alternatives. Alors que la connaissance des expériences anticipées et effectives du client moderne et de ses comportements est la clé primordiale pour driver tout leur business.
Les deux boules de gauche ne portent que sur la manière et les moyens à déployer pour rencontrer ce qu’attend concrètement le client. En éclairant fortement les deux boules à paillettes de gauche les entreprises dansent seules sur la piste de leur boîte. En brisant la vitre sans tain, les clients pourraient se joindre à eux. Ce que Google a largement compris. La méga entreprise mondiale de services digitaux a quadruplé ces dernières années ses recherches consacrées à l’expérience client. La valeur de celle-ci a depuis 2008 largement dépassé la valeur de la marque elle-même. Pour le client actuel, peu importe qu’il s’agisse de Chanel, Netflix, AXA ou Amazon, seule compte la qualité de son « expérience ».
Réflexe n°1 : Briser la vitre sans tain
Depuis des années, mon équipe conçoit les écrans digitaux de l’entité belge d’un groupe international spécialisé dans la distribution de matériel électrique que je me propose d’utiliser comme fil conducteur au travers des 9 réflexes. Le CEO belge est l’incarnation vivante du réflexe n°1. Aucune vitre sans tain n’existe entre l’entreprise et les clients, les deux réalités baignent dans une même lumière. « Fastoche pour des rois de l’électricité », direz-vous ! Pas nécessairement. Encore faut-il que les deux univers soient à 100% bien connectés.
Le patron belge passe donc la majorité de son temps sur le terrain, au plus près des clients. Pour observer, comprendre, analyser, sentir, ressentir, vivre le quotidien des milliers d’électriciens que son entreprise fournit et prendre leur pouls.
Résultat ? A chaque réunion de travail, le CEO donne chair, présence et densité aux clients de sa marque à travers souvenirs vivants et anecdotes expressives. Loin de personas désincarnées, éteintes. Sous son leadership inspirant, ses équipes ont totalement intégré que les deux curseurs les plus importants pour leur business sont les boules de droite l’expérience anticipée et l’expérience effective des clients. Et que les deux boules de gauche ne sont qu’au service des deux boules de droite, pas l’inverse.
Les données récoltées, assemblées et réactualisées en permanence sur les clients permettent de maintenir à jour leur « puzzle de vie » (voir le réflexe n°4). La vision de l’expérience est réalisée avec une connaissance extrême de l’expérience anticipée et de l’expérience effective des clients. Et lors du déploiement de l’expérience, toutes les équipes sont imprégnées par l’ensemble du modèle à 4 boules.
La vision éclairante du CEO infuse dans toute l’organisation. Alors qu’il gère un cluster de plusieurs pays européens, et que son emploi du temps est plus que chargé, l’homme ne manque quasi aucune des réunions consacrées à l’expérience des clients. De même, il saisit toutes les occasions de s’imprégner du vécu de sa communauté d’électriciens, de leurs problèmes, de leurs vies … de leurs réels besoins.
Le réflexe n°1 « Briser la vitre sans tain » c’est changer d’état d’esprit, (ré)ouvrir le business model à l’ensemble des 4 boules constitutives d’une expérience client réussie. Faire voler en éclats la vitre sans tain afin que toute l’organisation favorise et encourage la proximité entre ses employés et les clients et ceci à tous les étages de l’organisation, sans exception. Pour faire de l’ensemble des êtres humains agissant dans la pièce bien éclairée, une seule et même « tribu ».
Solange Marsaux
Directrice Omnicanal
« Le site Nature & Découvertes a rapidement gagné en performance »
Nous avons confié à Marc et à son équipe la complète refonte de notre site ecommerce.
Son approche basée sur l'étude précise des parcours, sur l'observation de nos clients en magasin, et sur la rédaction précise de nos principaux objectifs nous a totalement séduite.
Le site a rapidement gagné en performance, notamment au niveau du tunnel d'achat.
Tout le monde peut participer à la conception d’expérience client positive en travaillant avec quelques bons réflexes.
Il s’agit bien plus d’un état d’esprit à retrouver en re-développant le savoir-être, avant le savoir ou le savoir-faire. Une fois cette culture initiée, les techniques prennent tout leur sens.
De mes missions de terrain durant plus de deux décennies, j’ai dégagé 9 réflexes que toute entreprise peut adopter pour gérer l'expérience client. Et cela, à son rythme, dans l’ordre qui lui convient, en fonction de ses besoins et capacités. Non pas pour faire d’un coup la révolution mais s’offrir les évolutions nécessaires menant à délivrer une expérience client digne de ce nom.
- Réflexe 1. Briser la vitre sans tain.
- Réflexe 2. Cultiver l’être, l’avoir suivra.
- Réflexe 3. Concevoir des comportements, pas des objets.
- Réflexe 4. Privilégier l’intelligence naturelle.
- Réflexe 5. Bannir les suppositions et les évidences.
- Réflexe 6. Viser la vitesse, pas la précipitation.
- Réflexe 7. Déconnecter coûts et attention.
- Réflexe 8. Garder les choses simples.
- Réflexe 9. Faire de son mieux, toujours.